Une coalition pro-européenne à refaire

Vasco Pedrina

Französischsprachiger Artikel erschienen in Le Temps vom 23.11.2022 von Vasco Pedrina, Ex-Copräsident der UNIA

Dieser Artikel von Vasco Pedrina, Ex-Copräsident der UNIA und Mitglied der SP Zürich 7 und 8, erschien im Le Temps vom 23.11.2022.


L’accord-cadre entre la Suisse et l’Union européenne a échoué parce que le Conseil fédéral n’a pas assuré ses arrières avant de négocier. La leçon à tirer est qu’avant une reprise des négociations ayant une chance d’aboutir, il faut reconstituer une large coalition pro-européenne qui pose les bases d’un succès en votation populaire.

Ce n’est qu’en août de cette année que le Conseil Fédéral semble s’être rendu à cette évidence, en créant un Comité consultatif où sont représentés cantons, partenaires sociaux et économie.  Ce n’est qu’un début : la formation d’un consensus interne solide prendra du temps. Les désaccords entre partenaires sociaux et notre position ferme ne doivent pas masquer la profonde division qui s’est installée dans le camp de l’économie : à côté des faîtières patronales classiques ont surgi des organisations comme Autonomiesuisse ou Kompass/Europa avec des sons de cloches bien différents. Sans parler des divergences entre forces politiques, et en leur sein même. Il est donc trop facile de faire des syndicats des boucs émissaires de l’échec.

Du point de vue syndical, trois questions doivent être clarifiées : la protection autonome des salaires, le rôle de la Cour européenne de justice et l’avenir de nos services publics (y compris dans l’énergie).

Nous ne pouvons pas accepter un affaiblissement de notre système de mesures d’accompagnement à la libre circulation des personnes. Nous voulons que soit préservée la possibilité de l’adapter à des exigences changeantes. Aujourd’hui, la Suisse a l’un des systèmes de protection des salaires les plus performants en Europe. Et pour cause : nous avons les salaires les plus élevés. Les salaires polonais n’arrivent pas à 20% des nôtres et mêmes ceux de la riche Allemagne n’atteignent pas 60%. En outre, le nombre d’entreprises – et de travailleurs détachés – de l’UE qui fournissent des services en Suisse, pour un volume de 2 milliards de francs par an, est beaucoup plus élevé qu’en sens inverse et que dans les autres pays. Au vu de ces chiffres, nous accuser de protectionnisme, comme le fait la CE, est déplacé.

La Suisse connaît certes une forte densité de contrôle. Mais en dépit de cette densité, une entreprise sur cinq ne respecte toujours pas les règles ! Le principe « à travail de valeur égale, salaire égal », récemment inscrit par l’UE dans sa directive sur le détachement, est en réalité un argument en faveur du système suisse! Les ressortissants européens détachés dans notre pays seraient parmi les premiers concernés par des baisses de salaire si le respect des normes suisses n’était plus vérifié.

Le bilan des six votations populaires relatives à nos relations avec l’UE, depuis le vote sur l’Espace économique européen en 1992, est clair : leur issue a été négative lorsque les accords ne prévoyaient pas de mesures de protection des salaires (dans le cas de l’adhésion à l’EEE) ou que le dispositif de protection n’était plus adapté (avec l’initiative contre l’immigration de masse). Avec une péjoration de ce dispositif, l’Accord-cadre n’a même pas passé la rampe du Conseil fédéral. De solides mesures de protection des salaires sont la condition du soutien populaire à la libre circulation des personnes !

C’est dans ce contexte qu’il faut comprendre nos réserves sur le rôle réservé à la Cour de justice. Contrairement à l’UDC et d’autres, nous ne contestons pas de manière générale les exigences de l’UE en matière de droit. Mais il n’est pas acceptable que la Cour tranche en dernière instance sur le bien-fondé de nos mesures de protection des salaires. Après l’élargissement à l’Est de l’UE et depuis ses cinq arrêts de 2007/2008 sur le droit collectif du travail, la Cour a cessé de jouer le rôle de conscience sociale de l’UE. Avec sa jurisprudence, elle n’a pas cessé depuis de trancher contre les droits fondamentaux des travailleurs, au profit des libertés économiques. Ainsi, le Luxembourg, dont notre système s’inspire, a vu ses mesures protectrices fortement affaiblies suite à l’un de ces arrêts.

Il est certes envisageable, dans une négociation, de revoir l’une ou l’autre composantes du système, sans pour autant l’affaiblir. Mais le faire avec l’épée de Damoclès de la CEJ et son actuelle jurisprudence est insoutenable.

Concernant les services publics :  comme non membres de l’UE et de l’EEE, il n’y a pas de raisons que, suite à des libéralisations imposées par des directives européennes, que nos compagnies ferroviaires finissent dans l’état préoccupant des chemins de fer allemands, ou du service postal dans les campagnes norvégiennes aujourd’hui. Sans parler de la libéralisation totale du marché de l’électricité, à laquelle la Suisse a eu raison de renoncer.

Tant sur les droits des travailleurs que sur les services publics, nous assistons en ce moment dans l’UE à des évolutions contradictoires. D’une part, l’Union veut que la Suisse se plie à sa doctrine des libertés économiques. Mais de l’autre sa pratique politique s’oriente depuis quelque temps dans le sens contraire: avec l’initiative du Socle européen des droits sociaux, elle relance sa dimension sociale, notamment avec la toute récente directive sur les salaires minimums et les conventions collectives. Et pour faire face à la crise énergétique, comme à la pandémie de Covid-19, elle se détache de la logique néolibérale. On est en droit d’espérer que tôt ou tard l’UE renonce à sa position doctrinaire et s’ouvre à des compromis sur des sujets comme la protection des salaires ou les services publics, qui, au vu de l’importance de nos relations, devraient être pour elle secondaires. Alors que pour nous, ils sont vitaux.

La conclusion est simple : pour emporter une majorité populaire, un nouvel accord entre la Suisse et l’UE devra aussi bénéficier aux salariés en Suisse.

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